Par Pierre Fortin
L’auteur est professeur émérite d’économie à l’UQAM
En 1867, le pacte fondateur du Canada, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, a conféré aux provinces la compétence exclusive en matière de gestion des ressources humaines. Ce sont les provinces, et non le gouvernement fédéral, qui sont responsables de la santé, des services sociaux, de l’éducation, de la main-d’œuvre, de l’aide sociale, etc. Alors, pourquoi l’assurance-emploi, qui appartient clairement au champ des ressources humaines, dépend-elle d’Ottawa, et non des provinces ? La réponse est que c’est Ottawa qui, en 1940, a pris l’initiative de lancer le programme canadien d’assurance-emploi (qu’on appelait «assurance-chômage» à l’époque). Dépourvues de moyens financiers à la fin de la Grande Dépression des années 1930, les provinces, le Québec compris, se sont empressées d’accepter un amendement à la constitution canadienne qui a transféré au gouvernement fédéral la responsabilité de ce champ d’intervention de l’État. Depuis 1941, c’est Ottawa qui gère l’assurance-emploi d’un bout à l’autre du Canada. Il prélève les cotisations, conçoit et met en œuvre le programme et distribue les prestations à sa guise.
Cela crée trois sortes de problèmes. Le premier découle du fait que le programme est uniforme d’un océan à l’autre, alors même que le pays est très hétérogène. Les besoins à Prince Rupert en Colombie-Britannique, à Medicine Hat en Alberta, à Sudbury en Ontario, à Rimouski au Québec, et à Corner Brook à Terre-Neuve, ce n’est pas du tout du pareil au même. Comme on dit en anglais, le one size fits all n’a guère de sens dans une fédération aussi diverse. Le deuxième problème, c’est que la connexion se fait mal entre l’assurance-emploi fédérale, d’une part, et les programmes de développement de la main-d’œuvre dont est responsable Emploi Québec, de même qu’avec l’aide sociale une fois l’assurance-emploi épuisée. Passer du programme fédéral aux programmes provinciaux n’est pas simple, parce que cela implique deux niveaux différents de gouvernement. C’est compliqué. Il y a souvent des chicanes sur les dossiers, dont les citoyens font les frais. Le troisième problème, c’est que le système actuel à deux têtes bloque l’innovation en matière de politique sociale. Par exemple, pour que le régime québécois de congés parentaux finisse par voir le jour, il a fallu dix années entières de pourparlers entre Québec et Ottawa – de 1996 à 2005 – au sujet de la portion des cotisations de l’assurance-emploi qui allait pouvoir être transférée au gouvernement provincial à ce titre. Si l’assurance-emploi avait été de compétence provinciale, on aurait pu éviter ces pertes de temps en discussions et en chicanes.
Bref, le transfert à Québec de la compétence fédérale actuelle en matière d’assurance-emploi serait une bonne chose. Une meilleure adaptation du programme aux besoins propres du Québec, moins de complications pour les citoyens et une plus grande facilité d’améliorer constamment le système seraient des conséquences fort bienvenues. En 1980, le rapport de la Commission constitutionnelle du Parti libéral du Québec, intitulé Une nouvelle fédération canadienne et souvent désigné comme le « Livre beige de Claude Ryan », avait justement fait la proposition de transférer la responsabilité de l’assurance-emploi d’Ottawa à Québec, exactement pour les raisons que je viens d’invoquer. Elle fut malheureusement oubliée dans le brouhaha qui suivit le référendum québécois de 1980.
Vingt-cinq ans plus tard, les esprits étant calmés, le temps ne serait-il pas venu de ressusciter la proposition du Livre beige ?
