«Les fonctionnaires ont des quotas de prestations à couper», Le Devoir, 1er février 2013 | Guillaume Bourgault-Côté
Nous citons de larges extrait de l’article de Guillaume Bourgault-Côté sur les fonctionnaires de l’assurance-emploi qui ont des quotas à couper.
««Plus on coupe, meilleur on est. Chez les fonctionnaires de Service Canada affectés à la prévention de la fraude de l’assurance-emploi, l’efficacité se mesure à la valeur des prestations coupées. Des informations obtenues par Le Devoir montrent que ces employés sont en effet soumis à des quotas mensuels de prestations à couper, et que des objectifs « d’économies » sont établis par la direction centrale.
« La mesure d’évaluation de notre travail, c’est l’argent qu’on fait économiser au gouvernement », a confié au Devoir un employé des « services d’intégrité » de Service Canada. « On nous demande 40 000 $ par mois par enquêteur, ce qui veut dire qu’on doit pénaliser bien des prestataires d’assurance-emploi et en disqualifier beaucoup pour atteindre cet objectif. »
Les propos de ce fonctionnaire sont appuyés par un document provenant de la Division ouest de Service Canada. Le directeur exécutif des services de l’intégrité, Kelvin Mathuik, écrit dans un rapport daté de décembre 2012 que la région sous sa gouverne doit fournir « 31 % de l’objectif national d’économies », ce qui représente quelque 154 millions.
Les services de l’intégrité enquêtent sur les fraudes potentielles des prestataires d’assurance-emploi, du régime de pensions du Canada et du programme de la sécurité de la vieillesse. La région couverte par M. Mathuik devait fournir des « économies » de 114,5 millions pour l’assurance-emploi, 16,3 millions pour le régime de pensions et 23,2 millions pour la sécurité de la vieillesse.
Par économies, on entend « des sommes qui ont été versées, mais qui n’auraient pas dû l’être, ou de l’argent qu’on ne versera pas après enquête », explique notre source.
« Le problème, c’est que le système met beaucoup de pression pour qu’on coupe les gens, qu’on trouve une faille dans leur déclaration. Tout le travail est organisé comme ça, on se félicite d’avoir coupé un tel, on se relance d’un bureau à l’autre en disant : “mais tu aurais pu l’avoir là-dessus aussi !”, on est poussés à être agressifs dans nos questions, à coincer les gens. » Le fonctionnaire indique qu’il y a « certainement des fraudeurs dans le système, mais actuellement, c’est comme si on considérait tout le monde comme un fraudeur potentiel ». [...]
Le monde à l’envers
Au Conseil national des chômeurs, Pierre Céré estime que le document obtenu « confirme l’existence des quotas, dont on nous parle depuis des années sans l’avoir jamais vu écrit ».
Pour le député néodémocrate Yvon Godin – qui suit de près le dossier de l’assurance-emploi depuis 1988 -, c’est le « monde à l’envers ». « On ne demande plus aux fonctionnaires de livrer un programme qui appartient aux travailleurs, mais on leur dit comment on peut faire pour ne pas livrer le programme. On les félicite selon les économies faites, ce qui veut dire au nombre de personnes coupées », analyse-t-il. [...]»
«Les demandes de précisions du Devoir auprès de Service Canada sont demeurées sans réponse, malgré un préavis de 48 heures.»
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Le lendemain, toujours dans les pages du Devoir:
«Assurance-emploi: Des centaines de millions à récupérer, dit Ottawa», Le Devoir, 2 février 2013 | Guillaume Bourgault-Côté ;
«Quand aider rime avec punir», Le Devoir, 2 février 2013 | Manon Cornellier ;