Face à un régime plus inéquitable que jamais, le Québec doit agir – Une présentation de Pierre Céré

Par Pierre Céré,
Porte parole du Conseil nationale des chômeurs et chômeuses – CNC
Montréal, le 1er octobre 2013

(version PDF de la présentation)

 

Je suis porte-parole du Conseil national des chômeurs et chômeuses, le CNC. Nous regroupons huit (8) organismes régionaux, de la Côte-Nord à l’Abitibi-Témiscamingue. Chacun de ces groupes réalise, à la base, un important travail d’information et de défense auprès des travailleurs et des travailleuses. Certains depuis 40 ans : c’est le cas d’Action Chômage Québec. Le CNC pour sa part est le véhicule politique de ses membres et recherche des changements en profondeur.

Il n’est pas commun dans notre histoire d’avoir un gouvernement à nos côtés. Je voudrais saluer l’initiative du gouvernement du Québec d’avoir mis sur pied la Commission nationale d’examen sur l’assurance-emploi.

Je suis accompagné de Roger Valois et de Yves Lessard. Nous avons réalisé ensemble, il y a un an, une tournée du Québec pour parler du rapatriement du régime d’assurance-emploi. Roger Valois a été vice-président de la CSN de 1984 à 2011 et porteur du dossier de l’assurance-emploi alors que Yves Lessard a été dans le milieu des relations de travail, entre autres à la CSN, pendant plus de 30 ans et député du Bloc québécois de 2004 à 2011, porteur du dossier de l’assurance-emploi et vice-président du Comité permanent des ressources humaines à Ottawa pendant 7 ans. Pour ma part, je suis avec les groupes de chômeurs depuis 1979. Nous cumulons ensemble pas mal d’années expérience sur l’assurance-emploi.

L’assurance-emploi a été conçue aux fins de protection économique pour les travailleurs et les travailleuses qui perdent leur emploi. Une prestation de chômage sert à payer l’épicerie, les comptes, s’occuper de sa famille. Ces argents sont injectés directement dans l’économie de proximité. Le chômeur? C’est un travailleur. Quelqu’un qui travaillait et qui va recommencer à travailler bientôt.

 

Permettez-moi d’évoquer quelques chiffres…

  • Les prestataires définis dorénavant comme fréquents représentent 22,6% des demandeurs de prestations régulières au Canada, soit 321 000 personnes. Ce sont eux qui sont dans la ligne de mire du gouvernement conservateur. En très grande majorité, ce sont des saisonniers (80%).
  • 39% des prestataires fréquents sont au Québec (124 620 sur 321 000).
  • 34% des demandeurs fréquents sont dans les provinces atlantiques (109 420 sur 321 000).
  • 73% de tous les prestataires fréquents sont dans l’Est du Canada.
  • Il y a au Canada 412 000 saisonniers qui demandent des prestations régulières, soit 29% des demandes de prestations. (22,6% fréquents, 29% saisonniers…).
    • 39% des demandes saisonnières sont au QC (160 000 sur 412 230).
    • 26% des demandes saisonnières sont dans les provinces atlantiques (105 340 sur 412 230).
    • Près de 65% des saisonniers demandeurs de prestations d’AE sont dans l’Est du Canada.
    • La couverture du régime vu sous l’angle du « ratio prestataires-chômeurs » (P/C) est de 41 %, en baisse de 5%.
    • Certains contestent l’évaluation du « ratio prestataires-chômeurs » considérant qu’il y a des chômeurs de longue durée. Alors, retenons seulement les chômeurs qui ont travaillé et cotisé au cours de la dernière année (866 000), et enlevons ceux dont la récente cessation d’emploi n’était pas conforme (171 000) et ceux qui n’avaient pas assez d’heures (150 000). Il reste 545 000 chômeurs éligibles, soit 63% des cotisants (E/CC).
    • Ce ratio baisse à 44% quand la Commission évalue la « population des prestataires de l’assurance-emploi », soit ceux et celles qui ont touché des prestations régulières durant la semaine de référence.
    • Le taux d’accès à l’assurance-emploi chez les jeunes est très bas: 15% ;
      Pour ceux et celles qui travaillent à temps partiel, c’est 33% (pour ceux qui ont une cessation d’emploi conforme aux critères de l’assurance-emploi) et beaucoup plus bas de façon générale, soit 22%.
    • Certains parlent du chômage « mode de vie », ils devraient savoir que la durée moyenne d’une période de prestations est de 21,5 semaines; 23,6 pour les prestataires fréquents et 19,9 semaines pour les saisonniers.
    • Que plus de 70% des prestataires n’épuisent pas leurs prestations. 80% chez les saisonniers, 72% chez les prestataires fréquents.
    • L’abolition du projet pilote des 5 semaines supplémentaires représente une coupure de 170 millions de dollars pour les régions à haut taux de chômage.
    • Y a-t-il des impacts mesurables de cette réforme? Statistiques Canada nous apprend qu’au QUÉBEC seulement, 146 000 personnes ont été refusées entre janvier et mai 2013. Cela représente une augmentation de près de 7% par rapport à la même période de l’année précédente. Pour l’ensemble du Canada, cette augmentation est de 3,36%.

 

Tout ça n’a pas débuté en 2012, mais bien en 1990 sous le gouvernement Mulroney qui impose des sanctions tout en retirant l’État du financement de la caisse. En 1993, c’est l’exclusion pour ceux et celle qui quittent leur emploi ou sont congédiés réputés pour « inconduite ». En 1994, c’est un gouvernement libéral qui abaisse le taux de prestations et surtout qui impose en 1996 une grande restructuration de l’AC qui devient AE : de toutes les mesures c’est le resserrement des critères d’admissibilité qui fait le plus mal, éjectant les travailleurs et les travailleuses à temps partiel (20% de la main d’œuvre canadienne; aux 2/3 des femmes). La couverture tombe en dessous de 50% et ne se relèvera jamais de cette barre.

57 milliards de surplus accumulés entre 1995 et 2008 ont été détournés de la caisse. Le gouvernement conservateur a aboli au printemps 2010 le compte d’AE pour le remplacer rétroactivement au 1er janvier 2009 par le compte des « opérations d’AE ». Les compteurs ont été remis à zéro.

 

Et tombe la réforme Harper du printemps 2012:

  • abolition des projets pilote (5 semaines supplémentaires et calcul sur les 14 meilleures semaines);
  • nouvelle règle sur le gain admissible;
  • abolition des tribunaux administratifs. Leur remplacement par une nouvelle structure et un nouveau fonctionnement, plus long, plus lourd, plus bureaucratique. Sur le nouveau Tribunal de la sécurité sociale ne siège qu’un seul commissaire nommé par le gouvernement, beaucoup d’ex-candidats conservateurs, beaucoup de pouvoirs discrétionnaires ;
  • Les prestataires divisés en trois catégories, ne sont plus égaux devant la loi. Ceux dits fréquents sont dans la ligne de mire. On vise à casser les saisonniers en favorisant une migration du travail vers l’Ouest ;
  • SYSTÈME DE SURVEILLANCE: quotas, enquêtes aléatoires sur la vie privée.

Le régime d’assurance-emploi est devenu un monstre à mille têtes, un régime complexe, judiciarisé, arbitraire.

Notre bilan à nous est clair : ça fait 25 ans qu’on se frappe la tête sur le même mur. Il faut changer de chemin.
Le Québec doit mettre en place son propre régime d’assurance-chômage. Et nous ferons mieux… parce que nous avons une longue trajectoire de mesures sociales équilibrées, innovatrices et solidaires (garderies, assurances médicaments, retrait préventif, etc.). Parce que nous disposons des infrastructures et de l’expérience nécessaire.

Ce projet n’est pas celui d’un parti. Ce projet devra s’appuyer sur une majorité politique, sur un consensus de société, comme cela a été le cas pour l’assurance parentale.

À propos de la question constitutionnelle, je vous répondrai ce que le constitutionnaliste Henri Brun me disait de vive voix l’an passé : n’écartez pas la possibilité d’amendement constitutionnel mais il y a une autre voie, celle de l’accord administratif entre les deux gouvernements.

Certains soulèvent l’argument de l’argent et nous sortent les chiffres des années de crise, celles de 2009 et 2010, en omettant de souligner que le Québec a participé aux surplus pendant toutes les années précédentes.

Avons-nous les moyens? Bien sûr que nous avons les moyens. Nous sommes assez grands comme peuple et comme société pour nous occuper de nos affaires.

Est-ce qu’améliorer et « régler » le problème du régime d’AE se fera à coût nul? Non. Mais on est assez intelligents pour se poser les questions suivantes : on commence par quoi? On fait quoi? Ça va coûter combien? On ajuste la cotisation de combien? De quelques dizaines de sous du 100$ de salaires pour mieux protéger notre population?

L’assurance parentale nous coûte 20 sous de plus que dans le reste du Canada. C’est ce 20 sous qui nous a permis de nous donner, collectivement, un programme social qui nous sert bien et qui n’a aucun équivalent dans le reste de l’Amérique.

Nous pouvons aller dans le même sens avec l’assurance-emploi. Entre ce que nous payons actuellement (2,08$) et ce que nous avons déjà payé en dollars constants (2,30$ en 1983 et 3,07$ en 1994), il y a certainement place pour trouver une formule équilibrée.

 

NOS CONVICTIONS :

Les travailleurs et les travailleuses doivent bénéficier d’une sécurité économique en cas de chômage, c’est la mission et la fonction d’un régime d’assurance-chômage.

Le Québec doit devenir le maître d’œuvre de ce programme social si important pour les travailleurs et leurs familles.

Je vous remercie de votre attention.

 

*

Autres documents:

Face à un régime plus inéquitable que jamais, le Québec doit agir - Un mémoire présenté par le Conseil national des chômeurs et chômeuses (CNC) à la Commission nationale d’examen sur l’assurance-emploi, Montréal, 4 juillet 2013;

Face à un régime plus inéquitable que jamais, le Québec doit agir - Un portrait chiffré (Un complément au mémoire déposé), une présentation par le porte-parole du Conseil national des chômeurs et chômeuses (CNC) Pierre Céré à la Commission nationale d’examen sur l’assurance-emploi, Montréal, 1er octobre 2013.

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