Ils l’ont fait !

par Pierre Céré
porte-parole du Conseil national des chômeurs et chômeuses

Depuis le printemps dernier, les conservateurs auront donc maintenu la ligne droite, sans jamais dévier de leur objectif d’imposer au régime d’assurance-emploi canadien l’une des réformes les plus brutales de son histoire. Il n’y a pas, ici, d’enflure verbale.

Les deux pièces maîtresse de cette réforme visaient à abroger les protections dont bénéficiaient les prestataires d’assurance-emploi en matière de recherche d’emploi, et donc redéfinir les paramètres de l’emploi convenable et non convenable et, d’autre part, à remplacer l’actuel système de tribunaux administratifs par de nouvelles instances beaucoup moins accessibles. Si l’essentiel a été voté à la fin juin dans le cadre de la loi budgétaire C-38, il restait à préciser les nouveaux règlements. C’est maintenant chose faite. L’annonce officielle a été faite par la Ministre Finley le 13 décembre, les règlements seront publiés dans La Gazette officielle le 19 décembre, et entreront en vigueur le 6 janvier prochain.

Les chômeurs qui «coûtent cher »
Nous avions déjà une bonne idée de ce qui nous attendait. C’est en effet sans ménagement, le 24 mai dernier, que la Ministre avait annoncé les nouvelles orientations faisant la distinction entre « travailleurs de longue date », « prestataires fréquents » et « prestataires occasionnels », qui ne disposeraient plus des mêmes droits et obligations d’une catégorie à l’autre.

Ce sont les « prestataires fréquents » qui dérangent, eux qui « coûtent cher », eux qu’on veut « débarquer du système ». Et c’est ainsi, et toujours sans ménagement, qu’on s’en prenait nommément aux travailleurs et aux travailleuses de l’industrie saisonnière, principal contingent des « prestataires fréquents », s’ajoutant à tous ces travailleurs contractuels, à statut temporaire ou qui ne travaillent pas toute l’année (tous ceux du milieu scolaire par exemple). À tous ceux-là, on disait, vous ne disposerez plus de « délai raisonnable » pour chercher de l’emploi dans votre secteur de travail habituel. À tous ceux-là, on disait, vous devrez accepter un salaire horaire jusqu’à 70% de celui que vous aviez. Fini ce temps, ces 70 ans de jurisprudence et de protections légales, où vous pouviez refuser un emploi offrant un salaire ou des conditions de travail en deçà de la moyenne des bons employeurs.

Pression sur le marché du travail
Dans l’industrie saisonnière, celle de l’agriculture, des pêcheries, du tourisme, de la forêt, le taux horaire est souvent de 14-15 dollars de l’heure. Combien font 70% de cela? Où vont se retrouver ces salariés? De quelle façon les employeurs pourront maintenir, d’année en année, une main d’œuvre expérimentée?

Ce gouvernement s’apprête à engager une formidable opération comptable qui s’ajoute aux pressions à la baisse qui s’exerceront sur le marché du travail : couper les prestations des chômeurs qui refuseraient le cheap-labor.

Au cours des derniers mois, nous avons pris la parole dans des dizaines d’assemblées, réunissant des travailleurs mais aussi des employeurs. Nous avons été invités ici par une Chambre de commerce, là par des syndicats, ailleurs par des groupes sociaux. Tous sont inquiets, profondément inquiets. C’est probablement la première fois d’ailleurs qu’une telle réforme de l’assurance-chômage soulève autant l’opposition des travailleurs que celle de leurs employeurs. Prenons acte.

L’autre élément fort de cette réforme, l’abolition des tribunaux administratifs et leur remplacement par de nouvelles structures, vient briser l’équilibre qui régnait au Conseil arbitral entre les représentants des travailleurs, des employeurs et de l’État. Dorénavant, il y aura un seul commissaire, nommé par le gouvernement. Au total, ils seront à peine une quarantaine pour tout le Canada, à siéger dans peu de villes, le plus possible par vidéoconférences, et qui disposeront de ce pouvoir discrétionnaire de rejeter sommairement un appel, sans compter d’autres obstacles procéduriers. On ne parle plus ici de blocages mais bien de reculs démocratiques.

Ce gouvernement qui ne participe aucunement au financement du régime d’assurance-emploi s’arroge pourtant tous les droits exclusifs de sa définition et de sa gestion, déchire le contrat social sur lequel reposait ce programme, piétine les gens et s’apprête à se réapproprier les nouveaux surplus de la caisse. Il n’y a pas d’enflure verbale dans ce message ni colère seule : notre action est résolument soudée à un projet et à des solutions. Nous y reviendrons.

 

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Ce texte a été repris dans le journal Le Devoir, dans la section Idées, «Assurance chômage: Ils l’ont fait!» lundi 17 décembre 2012, p. A 7.

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Rapatriement de l’a-e : Quelques éléments de réponse aux opposants

1) Certains ont prétendu que le projet de rapatrier au Québec l’assurance-emploi était un projet partisan, lire péquiste. Nous répondons non. Et nous répétons non. Un tel projet, s’il débute avec un parti politique, ne pourra connaître de résolution sans devenir un projet de société, sans qu’il ne soit repris par l’ensemble de la classe politique. Un peu comme fût la démarche entreprise pour nous donner un régime d’assurance parentale. C’est en ce sens d’ailleurs que nous avons eu des échanges avec la Coalition Avenir Québec et avec Québec solidaire, tout en demandant aussi une rencontre avec le Parti libéral du Québec.

2) D’autres ont soulevé l’obstacle constitutionnel : impossible à réaliser sans amendement constitutionnel. Nous avons consulté l’un des constitutionnalistes les plus réputés au Canada qui nous a fait comprendre qu’un accord administratif est possible entre deux paliers de gouvernements responsables et que, par délégation de pouvoir, Ottawa peut transmettre au Québec ce pouvoir. Tom Flanagan, grand stratège des victoires conservatrices, l’a récemment confirmé dans un texte publié dans le Globe and Mail, le 27 août dernier.

3) D’autres ont évoqué l’argument de l’argent  « ais où diable va-t-on prendre l’argent  Un peu de rigueur de grâce   C’est le genre d’argument que nous servaient les opposants à la création d’un régime d’assurance-maladie dans les années 1960, ou aux garderies subventionnées, ou encore à l’amélioration récente du régime d’assurance-emploi… « ais où diable va-t-on prendre l’argent

Selon Michel Bédard, ex-actuaire en chef du programme fédéral d’assurance-emploi, en nous donnant un régime moins complexe, moins judiciarisé et en coupant dans les dédoublements administratifs, et aussi en harmonisant le maximum assurable au niveau de nos autres programmes sociaux comme la CSST et le RQAP (65 000 $ au lieu de 45 900 $), on se retrouve en situation d’équilibre.

À partir de là, on peut se poser la même question qu’on se poserait à Ottawa, s’il y avait cette volonté d’améliorer le régime : on commence par quoi, on fait quoi, ça va coûter combien. Sachons, par exemple, que le Régime québécois d’assurance parentale nous coûte 21 sous de cotisation de plus pour l’avoir amélioré… Sachons aussi que nous payons une cotisation à l’assurance-emploi moins élevée qu’en 1983! Il y a certainement place pour un peu plus d’équilibre dans tout ça, n’est-ce pas?

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Refuser le surplace

Tous et toutes, nous avons constaté que le régime d’assurance-emploi a été gravement malmené par tous les gouvernements qui se sont succédés au pouvoir à Ottawa depuis 1990. Nous avons aussi constaté que ce régime est devenu arbitraire, complexe, judiciarisé et qu’il repose sur la mauvaise foi. Nous avons aussi assisté au détournement de la caisse d’assurance-emploi réalisé par ces gouvernements (plus de 59 milliards de dollars).

Nous n’avons jamais cessé de dénoncer et de mobiliser autour de ces enjeux. Nous l’avons fait sans compter notre temps, avec toute l’énergie et la détermination dont nous étions capables.

Il y a quelques années, nous avons fait un choix, celui de sortir de nos zones de confort, celles de la seule contestation, pour nous inscrire dans la voie du changement, et de participer aux solutions. Cela explique toutes les expériences tentées à Ottawa, par exemple lors de la mise sur pied d’une coalition parlementaire et syndicale en 2006 et 2007, ou des travaux effectués auprès du NPD, du Bloc québécois et du Parti libéral du Canada. Nous sommes allés témoigner à d’innombrables reprises devant des comités parlementaires et sénatoriaux, mais jamais notre voix n’a été prise en compte.

Nous sommes arrivés à la conclusion qu’il n’y avait plus rien à attendre de ce côté, que la solution ne viendrait jamais d’un seul parti politique, qu’une solution véritable et durable ne pouvait que reposer sur un consensus de la classe politique et qu’à Ottawa, en la matière, il y avait une situation de blocages.

Depuis l’année dernière, nous avons débuté une réflexion sur l’idée de rapatrier au Québec l’assurance-emploi et créer notre propre régime qui nous ressemblerait un peu mieux, et qui protégerait un peu mieux notre monde. Cette réflexion s’est engagée dans le débat public. Nous l’avons vu récemment avec les réactions de politiciens fédéraux. Manifestement cela dérange, et pour toutes sortes de raisons, et dans différents camps, mais ce débat va se poursuivre. C’est comme ça.

Pour nous, il est hors de question « d’avancer par en arrière » et revenir au point de départ de 1996, comme certains semblent vouloir s’y engouffrer pour se donner une raison.

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