Lettre à M. Harper / Sujet : Projet de loi C-38 modifiant l’assurance-emploi

(NOTE : hier, nous recevions dans nos courriels ce cri du cœur senti, sous forme de lettre adressée à Harper. L’auteure, Isabelle Dicaire, nous permet de la reproduire sur notre site. Merci à Isabelle pour ce commentaire; et bienvenue à vous tous de nous faire parvenir les vôtres.
La même lettre a été reprise dans le journal La Presse de ce matin sous le titre «Du travail forcé», dans la section Débats, en page A 17.)

 

Monsieur Harper,

Je réagis fortement à votre projet de loi visant à faire accepter n’importe quel emploi à 70% du salaire aux chômeurs fréquents.  Vous essayez de faire gober cette répression et ce travail forcé  –  car c’est de cela qu’il s’agit – avec un discours que le « gouvernement aidera les Canadiens à retourner sur le marché du travail ».

Votre gouvernement n’est certainement pas connecté à la réalité des chômeurs fréquents.  Détentrice d’une maîtrise et d’un baccalauréat en sciences sociales, j’ai eu à vivre d’un contrat à l’autre, donc avec la précarité, dans les organismes communautaires.  Le rythme des contrats se fait parfois à un rythme infernal (faire une recherche en trois mois, et une autre en 5 mois avec entrée de donnée, entrevues, revue de littérature, rédaction, il faut le faire!), avec une adaptation à un nouveau milieu de travail, avec tout le stress que ça comporte, et parfois l’employeur ne nous garde pas, donc il est difficile dans un tel contexte de se chercher un nouveau travail.  Avec des salaires assez faibles, l’assurance-emploi (à 55% de mon salaire) m’a permis de survivre – de ne pas perdre mon appartement, de pouvoir manger, de rembourser mes prêts étudiants, et j’ai dû en plus piger dans mes économies, l’assurance-emploi n’étant pas suffisante.

Premièrement, accepter un emploi à 70% de mon salaire actuel serait très dangereux pour ma survie.  Il y a 2-3 ans de cela, il m’aurait été impossible d’accepter une telle baisse de salaire puisque cela aurait mis en péril ma survie économique (j’avais 250$ de prêts étudiants à rembourser par mois).  Deuxièmement, dans une situation de précarité, on ne peut accepter de telles baisses de salaire puisqu’il faut prévoir que le jour où on se retrouvera sans emploi, il faut survivre avec la moitié (55%) de son salaire, et avoir des économies, l’assurance-emploi ne s’avérant pas suffisante.  Ainsi, si on gagne 400$ par semaine, on aura 880$ en assurance-emploi par mois.  Si on doit accepter un travail à 70% de ce salaire, c’est 280$ par semaine qu’on devra accepter.  Et on se retrouvera avec 616$ de chômage par mois.  Ce gouvernement prétend m’aider?  Il m’appauvrit, il met en péril ma survie.

Par ailleurs, il y a autre chose qu’il faut savoir.  Présentement, si on quitte un emploi et qu’on a un « départ volontaire », on n’a droit à aucune prestation d’assurance-emploi.  Donc, on ne peut pas se permettre d’accepter n’importe quel emploi au risque de se tirer dans le pied : on risque de se retrouver avec rien si on n’est plus capable de supporter le travail.  Dans ce contexte, le travailleur/chômeur se trouve encore plus démuni dans le rapport de pouvoir avec son employeur, et ce dernier n’a pas à faire d’effort pour améliorer les conditions de travail.

Enfin, la période chômage est une période très difficile sur le plan personnel.  Quand on est un chômeur fréquent, on n’a parfois droit qu’à 16 semaines d’assurance-emploi, et c’est très stressant.  En menaçant les chômeurs d’avoir à accepter n’importe quel emploi, à 70% du salaire, vous n’aidez certainement pas les chômeurs, vous créez encore plus d’angoisse, alors que les chômeurs ont certainement besoin et droit à plus de support.

Clairement, ce projet de loi a pour effet de précariser, d’appauvrir, d’affaiblir les conditions de travail et les conditions salariales des travailleurs et travailleuses.  Par ce projet de loi, votre gouvernement manque de solidarité avec les travailleurs et travailleuses les plus vulnérables.

 

Isabelle Dicaire

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Les réactions aux modifications proposées par les conservateurs ne tarissent pas

Nous ne pouvons citer ici toutes les articles et réactions publiés dans les médias, et encore moins les commenter…

Pour cette nouvelle entrée, nous retenons deux textes.

«Assurance-emploi – Des propositions qui manquent la cible», Carole Vincent – Économiste, Idées, Le Devoir, 4 juin 2012

«Les modifications proposées au régime d’assurance-emploi annoncées par la ministre Diane Finley ont le mérite de relancer le débat sur les améliorations à apporter à l’un des programmes sociaux les plus importants au Canada. On peut douter toutefois que les propositions du 24 mai dernier représentent des solutions novatrices ou même nécessaires. [...]

L’auteure poursuit, plus loin avec :

« [...] pour les travailleurs touchés, les conséquences pourraient être graves, et on connaît mal les répercussions qu’elles auront sur la santé financière des familles et l’habilité des personnes à réaliser leur plein potentiel en matière de cheminement professionnel.

«Et qu’en est-il des pressions à la baisse que ces dispositions exerceront sur les salaires, mais aussi des impacts sur d’autres aspects des conditions de travail comme la santé et la sécurité ou la conciliation travail-familiale ? L’ampleur réelle de ces répercussions est difficile à prédire, mais est néanmoins préoccupante.»

Et l’auteure ouvre sur une question que l’on aborde que trop rarement: la représentation des femmes dans les emplois temporaires et à temps partiel – c’est-à-dire les emplois les plus précaires.

«[...] Les changements annoncés par la ministre ne s’attaquent nullement à l’une des injustices les plus flagrantes d’un programme d’assurance-emploi qui reflète mal les réalités du marché du travail d’aujourd’hui. Un nombre croissant de travailleurs – et surtout de travailleuses – occupent des emplois temporaires et à temps partiel.

«Et les femmes ?

«Près de 7 travailleurs à temps partiel sur 10 sont des femmes. Plusieurs d’entre elles pourraient ne jamais avoir droit à des prestations si elles perdaient leur emploi alors qu’elles sont obligées de verser des contributions au régime. Les femmes consacrent davantage de temps au travail non rémunéré, prenant souvent soin d’autres membres de leurs familles. Parmi ceux et celles qui travaillent à temps partiel se trouvent aussi des personnes qui ont des restrictions pour cause d’invalidité.

«En 2001, une décision du juge-arbitre de l’assurance-emploi reconnaissait que les critères d’admissibilité sont discriminatoires et constituent une atteinte à la dignité des femmes qui travaillent à temps partiel. Cette décision reconnaissait que les femmes consacrent en moyenne deux fois plus de temps que les hommes au travail non rémunéré. Au titre de l’assurance-emploi, elles sont néanmoins considérées comme ayant un faible attachement au marché du travail à moins qu’elles consacrent autant d’heures que les hommes au travail rémunéré. [...].»

 

***

«Point de vue: Une réforme indigne», François Genest, conseiller en consommation, ACEF du Grand-Portage, Rivière-du-Loup, Le Soleil (site web), dimanche 3 juin 2012

«[...]

«Ces modifications [à l'assurance-emploi des conservateurs] s’inscrivent dans la lignée d’un document de l’institut CD Howe sur les normes d’admissibilité à l’assurance-emploi, rapport qui recommande plus de mobilité de la main-d’oeuvre et l’adoption de règles d’admissibilité uniformes à travers le Canada, de façon à ne pas encourager le chômage chronique, notamment pour les provinces à haut taux d’emplois saisonniers. Bref, il faudrait que les travailleurs comprennent où est leur bien et acceptent plus volontiers de se déplacer à travers le Canada pour combler les besoins du patronat. Ajoutez à cela le «scandale» de l’emploi de travailleurs étrangers, qui acceptent des emplois sur lesquels nos bons Canadiens lèvent le nez. [...]»

L’auteur y va d’un exemple clair pour illustrer cette contre-réforme:

«Soyons concrets. Une personne de Rivière-du-Loup qui gagne en moyenne 14$ de l’heure récolte 560$ par semaine au bout de 40 heures. Si elle est obligée d’accepter un emploi à 70% de son salaire horaire, elle «tombera» à 9,80$, donc au salaire minimum à 9,90$, ce qui lui ferait un revenu hebdomadaire de 396$, si elle travaille 40 heures, soit 164$ de moins que son ancien salaire. Supposons qu’elle doive se rendre cinq jours par semaine à Dégelis, à moins d’une heure de route, mais à 90 kilomètres de Rivière-du-Loup, pour occuper son nouvel emploi forcé, elle devra payer les frais d’utilisation d’une automobile (0,47$ par km, d’après le ministère des Finances du Canada) pour 900 kilomètres par semaine, soit 423$, plus que son nouveau salaire de travail forcé! Présentement, il n’y a pas de transport collectif suffisamment développé qui permette de réduire ce coût. Il y a le covoiturage, mais les coûts seront exorbitants, compte tenu du revenu. Même un travail à 44 kms de chez-soi, comme à St-Pascal de Rivière-du-Loup, entraîne des coûts de transport de 206,80$, ce qui est inadmissible. La personne doit-elle déménager? Doit-elle «refaire sa vie» dans un nouveau milieu, déraciner sa famille? Tout ça pour un travail qui n’est peut-être pas le sien, qui ne correspond pas à ce qui lui est «convenable» à elle. [...]»

L’auteur poursuit avec le travail saisonnier qui est indispensable dans certaines régions. Et il termine avec une une question essentielle:

«Et l’aspect humain? Qu’est-ce que tu fais quand tout ce que tu as, c’est ton travail et ton enracinement dans ta région, qui te donnent fierté et dignité, et qu’on veut te l’enlever? Il te reste l’indignation!

Opposez-vous, indignez-vous, avant qu’il ne soit trop tard, avant que ce ne soit tout ce qui vous reste. »

 

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«AE: Des emplois saisonniers difficiles à pourvoir» de H. Buzzetti et M. Vastel

Si l’on prend ce dernier texte d’Hélène Buzzetti et Marie Vastel publié ce matin dans le Devoir et celui que nous citons plus bas de Chantal Hébert dans l’Acadie Nouvelle, tout s’éclaire: l’on comprend mieux comment fonctionne  les conservateurs avec leur vision machiavélique du pouvoir.

«[...] Pour expliquer sa réforme d’assurance-emploi, le gouvernement conservateur prétend vouloir donner priorité aux chômeurs canadiens plutôt qu’aux travailleurs étrangers temporaires. Or, ce remplacement ne sera pas si facile à opérer : il appert que les emplois occupés par les étrangers sont soit saisonniers, soit dans des régions où le taux de chômage est déjà plus bas que la moyenne nationale. [C'est nous qui soulignons] [...]

«Or, deux des trois premières catégories d’emploi pour lesquelles ces gens [les 430 000 travailleurs étrangers] sont venus en plus grand nombre sont des emplois peu susceptibles d’éviter du chômage saisonnier aux Canadiens. Les travailleurs agricoles et laboureurs arrivent en tête de liste, avec 31 000 travailleurs étrangers. Ils sont restés en moyenne sept ou huit mois. Leur travail s’effectue pendant les périodes de pêche, les saisons touristiques, bref, pendant que les travailleurs saisonniers travaillent.

«Ken Fort, le président de FARMS, une association qui aide les agriculteurs à recruter à l’étranger, espère que toute cette attention médiatique ne finira pas par faire disparaître le programme, qu’il juge essentiel pour le secteur. Il assure que l’industrie fait déjà le plein de travailleurs canadiens, avec un taux de 85 %. Selon lui, il n’est pas possible de pourvoir les 15 % d’emplois restants par des travailleurs d’ici. « Les Canadiens ne veulent pas de ma job. Ils veulent une job qui va durer plus que quatre mois », dit-il. [...]

«La deuxième catégorie d’emplois accueillant le plus de travailleurs étrangers temporaires est celle de la restauration, avec près de 20 000 employés, restant entre 12 et 14 mois en moyenne. La majorité d’entre eux, toutefois, se dirige vers les Prairies, là où le taux de chômage est le plus bas du pays. En tête de liste, selon l’Association canadienne des restaurateurs et des services alimentaires (ACRSA) : l’Alberta (taux de chômage : de 5,3 % en mars).

«Il y a beaucoup de concurrence pour recruter la main-d’oeuvre dans ces provinces, explique Dwayne Marling, représentant de la région au sein de l’ACRSA. « Dans ces économies axées sur l’exploitation des ressources naturelles, c’est un véritable défi. À Fort McMurray, par exemple, les jeunes gagnent de bons revenus et travaillent de longues heures. Cela augmente la demande sur le secteur de la restauration à un moment où il y a moins de gens disponibles pour occuper ces emplois. » Selon les données de 2010 du ministère, l’Alberta a accueilli 38 % de tous les travailleurs temporaires étrangers autres qu’agricoles. [...]

«L’impact du boom pétrolier albertain trouve un léger écho au Québec dans les régions visées par le Plan Nord, selon François Meunier, porte-parole de l’Association des restaurateurs du Québec. « Là, il n’y a plus personne qui est prêt à travailler à 12 $ l’heure parce que n’importe qui peut se faire offrir un emploi dans les mines au double ou au triple de ce salaire-là. […] Même des gens sans qualifications se font offrir des emplois à plus de 20 $ l’heure. L’industrie n’est pas capable de supporter une rémunération aussi importante que ça. Il n’y a personne qui veut payer son club- sandwich 52 $. » [...]»

« À l’occasion, les emplois ne se trouvent tout simplement pas là où se trouvent les travailleurs », conclut Dwayne Marling.» [représentant de l'Association canadienne des restaurateurs et des services alimentaires (L'ACRSA) de l'Alberta.].

 

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